(...) Cela fait plus de trente ans que les physiciens tentent d’élaborer une théorie physico-mathématique englobant les trois forces du modèle standard et la gravité. La plupart des solutions proposées actuellement s’appuient sur la théorie des cordes, un modèle mathématique qui postule que les particules élémentaires sont des cordes en vibration dans un univers à 11 dimensions... Mais c’est justement parce qu’il n’aimait pas la théorie des cordes que Garrett Lisi a abandonné la recherche universitaire en 1999 juste après avoir obtenu son doctorat en physique. Il s’est alors consacré au surf et au snowboard, tout en continuant, comme un loisir, ses propres recherches sur une « théorie du tout ».
La preuve par E8
Après plus de sept ans passés à résoudre des équations qui ne le menaient apparemment nulle part, Lisi est tombé en avril sur un article consacré à E8, une structure mathématique complexe à huit dimension et contenant 248 points. Il a remarqué que les équations décrivant E8 ressemblaient beaucoup à ses propres équations. Lisi a alors réalisé que s’il trouvait le moyen de disposer chaque particule élémentaire et chaque force sur chaque point de E8, il aurait un modèle permettant d’expliquer et de prédire toutes les interactions de l’univers.
Bien qu’il ne soit pour l’instant rattaché à aucune institution universitaire, Lisi vient de soumettre sa théorie à la communauté des physiciens via le serveur Arxiv. Sous le titre provocateur « Une théorie du tout exceptionnellement simple », Lisi explique comment il est parvenu à représenter les 40 particules élémentaires connues à ce jour sur les 248 points de E8. Il montre ensuite que de simples rotations de cet objet permettent d’expliquer la plupart des relations entre forces et particules observées expérimentalement.
Cet article très ambitieux a d’ores et déjà été salué par des physiciens reconnus, au premier rang desquels Lee Smolin. Dans The Telegraph, cet adversaire radical de la théorie des cordes, affirme ainsi à propos des travaux de Lisi « C’est l’un des modèles d’unification les plus convaincant que j’ai vu depuis de longues années ». Sabine Hossenfelder, une collègue de Smolin, est plus prudente : dans la revue New Scientist, elle explique que les idées de Lisi « sont plus un complément qu’une alternative radicale » à la théorie des cordes.
Les physiciens que nous avons contacté sont encore plus circonspects quand à la portée de l’article de Lisi. Pierre Binetruy, directeur du laboratoire Astroparticule et Cosmologie de Paris 7, exprime « quelques doutes sur le fait que [le modèle de Lisi] unifie gravite et la physique quantique qui décrit le monde microscopique », mais il reconnaît ne pas avoir eu le temps d’étudier en détail le travail de Lisi.
Quant à Thibaut Damour, professeur à l'IHES (Institut des hautes études scientifiques), il est encore plus sévère. Selon ce spécialiste de la théorie des cordes, « Garrett Lisi est fasciné par certaines structures mathématiques, et en particulier par la façon dont le groupe "exceptionnel" E8 contient un empilement d'autres groupes remarquables (dont certains sont liés à la physique). Du coup, il croit pouvoir en déduire une théorie unifiée des interactions». Damour ajoute « Mais son schéma est une coquille vide où, me semble-t-il, presque rien n'est défini avec précision, et ce qui est défini semble faux: comme le fait d'additionner des champs bosoniques et des champs fermioniques de "dimensions" différentes. Ce qui revient à additionner des pommes et des oranges ». Et il conclut : « Lisi prétend unifier les champs physiques connus dans E8, mais les équations qu'il écrit sont très loin de réaliser ce rêve ».
De son côté, Lisi soutient que son modèle n’est pas qu’une abstraction mathématique: certaines prédictions pourront rapidement être testée expérimentalement pour valider ou invalider sa théorie. Ainsi, pour compléter E8, Lisi a eu besoin de « créer » 20 nouvelles particules élémentaires non prédites par le Modèle Standard des physiciens. Le chercheur calcule donc maintenant la masse théorique de ces particules afin de pouvoir les détecter au sein du futur LHC. A suivre donc…
Yaroslav Pigenet pour 20minutes.fr
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